Une conversation inspirante avec l’athlète paralympique Camille Chai

Quand on la rencontre, on ne voit pas son handicap. Parce qu’elle le transcende complètement. La conférencière et escrimeuse paralympique de 28 ans est une fonceuse pour qui la vie est un combat contre les limites, contre les stéréotypes.
Photos et entrevue Chantale Lecours



Sujet no 1: ton handicap
Pour commencer, quelle est la question que tu ne veux pas qu’on te pose?
Bonne question! Je ne sais pas, je suis ouverte, je n’ai pas de tabous, je n’ai pas besoin de censure. Alors, vas-y.

Te sens-tu différente des autres?
Oui, parce que j’ai évidemment une différence physique. Non, parce que je suis humaine et que je me sens connectée à tout le monde. Je vis les mêmes émotions.

Quand as-tu réalisé que tu n’étais pas comme les autres?
C’est au primaire que j’en ai pris conscience, au moment où j’ai commencé à faire face au regard des autres, à susciter leur curiosité. Comme j’ai accepté mon handicap très jeune, j’étais bien dans ma peau et je n’avais pas envie de me cacher. J’ai donc bien vécu ça et j’ai répondu aux questions avec plaisir, même si ça m’agaçait que les mêmes personnes me les posent à répétition! Le fait que les gens venaient vers moi m’a permis de m’ouvrir. J’aurais pu choisir de me fermer, c’est le contraire qui est arrivé.

Comment tes parents t’ont-ils encadrée?
J’ai reçu tous les ingrédients magiques dont un enfant a besoin. Mes parents m’ont donné l’amour et la confiance et ils m’ont toujours encouragée à faire tout ce que je voulais. Ils m’ont traitée normalement, sans aller dans la surprotection. Ça a été déterminant, mais ça leur a nui, parfois. Quand j’ai appris à marcher et que je tombais dans la rue, par exemple, ils ne m’aidaient pas à me relever, car ils savaient que j’étais capable de le faire seule. Les gens les insultaient alors que mes parents savaient exactement ce qu’ils faisaient. Je suis reconnaissante du fait qu’ils n’ont jamais accordé de pouvoir au jugement des autres.

Mon frère, ma sœur et moi avons été élevés avec les mêmes valeurs, il n’y a jamais eu de jalousie ou d’envie ni de traitement différent. On est un clan, on se tient. Même si je suis née avec un seul bras et une seule jambe – et un tout petit pied de l’autre côté – j’étais la grande sœur et je prenais mon rôle à cœur. En famille, nous avons parlé ouvertement de mon handicap, souvent avec humour, et c’est surtout moi qui en rajoutais! Nous avons discuté ensemble de la vie, du comportement humain, du monde intérieur et nos parents nous ont inculqué de bonnes notions de psychologie. Ils me disaient souvent ceci: «Camille, on t’a tout de suite aimée telle que tu étais et on a toujours eu confiance en toi.» Ils n’ont pas fait de projections dans le futur ni exprimé de craintes sur ce que je pourrais ou ne pourrais pas faire. Ils vivaient dans le moment présent et c’est exactement ce que je fais aujourd’hui.

Est-ce que ton handicap te définit?
J’aime ça comme question! Tu sais quoi? Je dirais que oui, mais dans le sens positif et constructif. Ma différence, je l’aime, je l’apprécie. Elle m’a permis de me démarquer. J’ai vécu plein d’expériences grâce à elle et non à cause d’elle. Bien sûr, je ne suis pas que ça, mais mon handicap teinte beaucoup ma vie et ma personnalité. Nous sommes tous uniques, et j’ai envie d’encourager les gens à trouver leur différence et à l’utiliser à leur avantage.

Est-ce que ton handicap te limite?
Les limites sont souvent imposées par les autres et il me revient à moi de ne pas y adhérer. Certaines personnes me perçoivent comme plus handicapée que je ne le suis vraiment, elles estiment que je suis incapable d’accomplir certaines choses. Ça me donne envie de grogner, ça réveille mon tempérament de combattante, ça me pousse à relever le défi et à leur prouver le contraire.

Te demandes-tu parfois «pourquoi moi?»
Non, je suis bien avec moi-même donc je n’ai pas envie d’être une autre. Par contre, oui, j’aurais aimé connaître la sensation de courir dehors, par exemple. Mon but étant d’avancer, je ne reste pas longtemps sur ces réflexions. S’il y a une chose que j’ai développée, c’est l’art de transformer le négatif en positif. J’ai très vite pris mes aises dans mon côté lumineux: être forte, me battre, me débrouiller seule. J’ai mis plus de temps à explorer mon côté sombre, mes matins gris. Ce n’est pas toujours facile. Mais, techniquement, je ne peux jamais me lever du mauvais pied… car je me lève toujours du pied droit!

Parle-nous des défis auxquels tu dois faire face au quotidien…
Il y en a tout un éventail! Il y a les trucs techniques que je ne peux pas faire, comme m’attacher les cheveux, essorer un torchon, porter des talons hauts. Il y a aussi les efforts que je dois faire pour marcher, me déplacer ou tout simplement mettre du lave-glace dans ma voiture… Ça, il faut que je le veuille vraiment! Le fait d’avoir un seul bras pose de nombreux défis au quotidien. Enfant, j’avais une prothèse de plastique, mais j’ai appris à fonctionner sans elle et je préfère ne pas la porter pour me sentir libre. Le fait d’avoir une seule jambe me cause pas mal d’inconfort, mais, si on me demandait quel membre je voudrais me faire greffer, je choisirais le bras. Parce que ma jambe de métal fait partie de moi, de mon style, je ne voudrais pas la laisser partir. Je l’appelle ma complice. Sans elle, je n’aurais pu parcourir tous ces kilomètres.

En fait, mon plus grand défi est de respecter les limites de mon corps. Je dois accepter de me reposer, apprendre à ralentir. Mon corps – notre corps – est sacré, il faut en prendre soin.

Parle-nous du regard des autres…
Notre société a changé, elle est plus inclusive. Aujourd’hui, on peut tout faire et la définition du mot handicap s’est transformée. C’est important pour moi de lui faire honneur. Je suis fière de marcher la tête haute et de montrer ma jambe de métal. Je sens beaucoup de respect dans le regard des gens, de l’admiration aussi. On me sourit, on me fait des thumbs up. Le mépris et les regards négatifs, ça existe, mais je ne croise pas ça souvent. Je suis une personne autonome et avec mon attitude, ce que je dégage, ma façon de me tenir le dos droit, les gens n’ont pas pitié de moi.

 

Sujet no 2: ta vie d’athlète

Est-ce que le sport a changé la perception que tu as de ton corps?
Dès l’enfance, j’ai découvert que mon corps était plein de potentiel, mais que je devais faire un effort. J’ai tout essayé: tennis, basket, raquette, vélo, natation, badminton. J’ai même fait la partie vélo de triathlons en équipe. Je sais de quoi mon corps est capable, et la pratique du sport me donne un sentiment de fierté. J’ai choisi d’utiliser mon handicap comme un tremplin.

Pourquoi avoir choisi l’escrime, un sport de combat?
J’aime l’idée du combat. Ça reflète qui je suis et l’attitude que je dois avoir face à la vie. Je sais ce que c’est que de devoir se battre, et le fait de transposer ça dans le sport me plaît beaucoup. Quand je me lance dans un combat, je peux laisser sortir la bête en moi, déployer ma force physique et mentale, alors que dans la vie de tous les jours, quand je fais de l’entraide, je suis disponible pour les autres, gentille, ouverte… Aussi, pour pratiquer l’escrime en fauteuil roulant, il faut enlever nos prothèses. Il faut se mettre à nu et ne rien cacher avant d’affronter son adversaire. J’adore cette symbolique.

Tu veux participer aux Olympiques de Tokyo. Pourquoi?
Tant qu’à être dans Team Canada, ben je vise les Jeux! Mon objectif est simplement de m’y rendre, d’y participer. Ce n’est peut-être pas une bonne réponse d’athlète, mais pour moi, le chemin parcouru pour arriver aux Olympiques est beaucoup plus important que la couleur des médailles! Pour viser les Jeux, je dois m’engager à fond, donner du temps, avoir une concentration inébranlable. Je dois surtout avoir foi en moi. Je travaille très fort, tout comme les athlètes qui n’ont pas de handicap – après tout, un athlète est un athlète. Mais nous avons à relever des défis au quotidien que les gens sans handicap n’ont pas à affronter. Nous cumulons donc plus d’épreuves, jour après jour. Il faut faire preuve d’une sacrée volonté et s’engager à fond.

J’aimerais m’entraîner encore plus pour les Olympiques, mais je dois aussi travailler pour gagner ma vie. Honnêtement, c’est l’argent qui est mon plus grand défi. Je vis de l’aide de mes parents et de mes conférences. Mon train de vie est simple et j’essaie d’avoir des commandites!

 

Qu’est-ce qui t’a menée aux conférences?
J’ai étudié en communication au cégep avant de faire «l’école de la vie» pendant trois ans au Cambodge, puis j’ai suivi une formation de thérapeute en relation d’aide avant de commencer à faire de l’escrime… Ce parcours me sert pour donner des conférences dans des écoles primaires, des bibliothèques, des résidences pour personnes âgées, dans les milieux corporatifs. Partout, mon message est le même: je parle de l’importance de l’estime de soi, de la détermination, de la résilience. Je veux aider les gens à être bien dans leur peau, à s’accepter. Je veux aussi les encourager à foncer. J’ai tellement reçu que j’ai envie de redonner.

Sujet no 3: la séduction

 «Femme de métal, femme fatale». C’est de toi, ça. Raconte…
C’est ma vision, c’est la relation que j’entretiens avec mon corps, c’est l’image que je veux projeter. Je veux faire honneur à mon handicap et à la femme en moi. Et ce n’est pas mon handicap qui m’empêchera d’être une femme comme les autres! Femme de métal, c’est l’extension de ma jambe. J’aime le look, c’est la rencontre entre la douceur et l’affirmation. Un alliage qui fait que je me sens bien. Je n’ai pas envie de cacher mon handicap: j’aime remonter mon pantalon pour montrer ma prothèse, c’est mon style!

Te trouves-tu belle?
Oui. Et je suis bien dans mon corps.

As-tu quelqu’un dans ta vie? 
Je suis en couple depuis quelques mois.

La séduction, ça veut dire quoi pour toi?
Plus jeune, mon handicap a freiné certaines relations. Ça ne m’offusquait pas. Je me disais que s’ils réagissent comme ça, je n’ai rien à faire avec eux dans ma vie. Aujourd’hui, je me fais draguer. Depuis quelques mois, j’aime sortir, aller danser. Je me laisse aller sur la piste de danse et je réalise que les hommes me draguent et que les filles me regardent, me sourient, qu’elles veulent se lier d’amitié avec moi.

Dans l’intimité, mon copain me trouve belle. Mon handicap réveille en lui un côté protecteur. Il a même donné des noms à mon épaule, à mon petit pied. C’est l’acceptation, l’amour pur. En réalité, ma petite poitrine me cause plus de complexes que mon bras et ma jambe!

La maternité, tu y penses?
Oui, c’est très très fort en moi. Je veux une famille. Après les Jeux de Tokyo. Une chose à la fois!

 

Et aussi…

Ton prochain voyage Au Cambodge! Plus précisément dans la ville de Kep, pour la plage et les montagnes.

Un livre sur ta table de chevet Dépasser l’horizon de Mylène Paquette, c’est une amie à moi et je travaille pour elle de temps en temps.

Un compte Instagram qui t’inspire Planet Earth et les comptes de voyage où l’on voit de beaux paysages.

Un produit de beauté chouchou Les rouges à lèvres Mac de toutes les couleurs. Je les choisis selon mon humeur.

Une marque de vêtements RW&CO, pour les classiques.

Partager:

2 Commentaires

  1. Denis Ouellet dit...

    Entrevue captivante. Questions pertinentes et bien structurées. Merci et encore svp.

  2. Simone dit...

    Quelle femme inspirante cette Camille! Merci de nous la faire découvrir!

Commentaires