Vivian Maier: le street style avant tout le monde
Nounou le jour, photographe dans ses temps libres, Vivian Maier a réalisé dans les années 1950 à 1980 plus de 100,000 clichés d’une étonnante modernité qui n’ont été découverts qu’après sa mort. Portrait d’une grande artiste.
Texte MJ Desmarais Photos Vivian Maier
Des petites filles qui tournoient dans la rue, manteau au vent. Des femmes élégantes, des couples qui se tiennent par la main, des enfants au regard étrangement grave. Des gens de la rue, surtout, croqués sur le vif – comme ce garçon aux gants de boxe et au sourire tellement électrisant – des décennies avant que ce genre de photo ne devienne chose courante. Et le troublant reflet de la photographe, s’observant avec le plus grand sérieux dans le reflet d’une vitrine, sorte de selfie prémonitoire. L’œuvre de Vivian Maier, c’est des milliers et des milliers de photos entassées pêle-mêle dans des caisses qui auraient pu ne jamais voir le jour n’eût été un heureux hasard.
Pendant 40 ans, Vivian Maier, qui est née dans le Bronx en 1926, mais qui était d’origine européenne, s’est établie à Chicago pour travailler comme gardienne d’enfants. Elle y a mené une existence en surface tranquille – avec des escapades à New York, Los Angeles, le Sud-Ouest américain, l’Europe et l’Asie – tout en s’adonnant discrètement à sa passion, celle de la photographie. Rolleiflex au cou, elle se promenait un peu partout pour photographier les gens, la rue, la vie qui passe. Des photos extraordinaires de l’ordinaire, en noir et blanc d’abord et ensuite en couleurs, dont elle n’a jamais parlé à qui que ce soit. Des photos secrètes qu’elle rangeait, le plus souvent sans les développer, dans des cartons, des valises, qu’elle a, faute de place, fini par entreposer.
En 2007, Vivian Maier, gravement malade, est hospitalisée. Ses photos, qu’elle n’a plus les moyens d’entreposer, sont désormais à la consigne, où elles attendent leur triste sort. En parallèle, le jeune cinéaste et historien John Maloof cherche des photos anciennes pour illustrer un livre d’architecture sur Chicago. Tout à fait par hasard, il acquiert des caisses de photos de Vivian Maier dans un encan pour découvrir finalement qu’elles ne seront pas utiles à son livre. Il les laisse de côté pendant plus d’un an, mais, après un moment, décide d’y jeter à nouveau un coup d’œil. Il développe des négatifs, commence à faire circuler des tirages, réalise peu à peu que les photos ont une valeur artistique et les diffuse sur Tumblr. Le phénomène devient viral, d’autres acquéreurs de photos consignées se manifestent, il rachète la presque totalité de leurs stocks.
En suivant la piste de quelques photos signées, il apprend d’une famille pour laquelle Vivian Maier a longtemps travaillé qu’elle est décédée; il découvre du même coup, avec stupéfaction, sa double vie. Les recherches de John Maloof lui révèlent une personne mystérieuse, secrète, qui a longtemps vécu dans un grenier soigneusement cadenassé et qui déclarait à l’occasion qu’elle était un peu espionne. Il décide de réaliser un documentaire à son sujet, qui sera en nomination pour un Oscar.
Vivian Maier n’aurait jamais pu imaginer que ses photos, si étonnamment intemporelles, seraient un jour encensées par la critique et exposées dans des galeries ni qu’elles feraient l’objet d’un documentaire acclamé par la critique. Elle n’aurait jamais pu imaginer non plus que des milliers de personnes seraient un jour touchées par son œuvre, captivées par ces instants saisis sur le vif, happées par ses sujets si vivants qu’ils semblent évoluer dans le moment présent. Au fond, c’est peut-être le genre de coup du sort qui aurait enchanté cette femme qui aimait tellement les secrets.
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Pour suivre le compte Instagram de l’œuvre de Vivian Maier géré par Maloof Collection: @vivianmaierarchive
Pour visionner la bande-annonce du documentaire que John Maloof lui a consacré c’est ici.
Une exposition est consacrée à ses photos couleur à la Howard Greenberg Gallery, à New York, jusqu’au 2 mars 2019. Pour infos c’est ici.