Une femme d’exception: Marcèle Lamarche, directrice générale, Le Chaînon

C’est simple, tout le monde admire (et aime) Marcèle Lamarche. Ses collègues. Son armée de bénévoles. Son CA. Les têtes d’affiche du milieu des affaires, des médias et du spectacle qu’elle sollicite sans relâche pour obtenir du financement. Nous. Moi. Et, bien sûr, les femmes en difficulté de passage dans la maison d’hébergement qui sont accueillies à bras ouverts et avec humilité. Portrait d’une femme de cœur et de tête, d’une femme d’exception.
  Photo: gracieuseté de Jean-François Lemire (merci!)



Qu’est-ce qui t’a amenée à la gestion d’organismes à but non lucratif?
C’est un drame qui m’a menée sur cette voie. Le 1er novembre 1984, alors que j’avais pris une pause de ma carrière syndicale (j’étais négociatrice dans l’industrie de l’alimentation) pour réaliser un rêve d’établir une librairie à Laval, Maurice Viens, un petit Montréalais de quatre ans était victime d’enlèvement alors qu’il jouait avec un ami derrière chez lui.

J’avais une fille de 16 mois et j’étais bouleversée. Une dizaine de jours plus tard, les policiers retrouvaient le corps de l’enfant qui avait été affreusement agressé et battu. J’avais besoin d’agir. J’ai d’abord voulu collecter des informations pour publier un manuel de prévention contre de telles situations. Mais rapidement j’ai découvert la branche canadienne d’une organisation américaine qui assistait les parents d’enfants disparus, Child Find. Je me suis rendue en Alberta rencontrer ce groupe et, au retour, j’ai communiqué avec une directrice de garderie à Montréal qui avait pris contact avec eux sans trop savoir quoi faire.

Ensemble, et en mobilisant notre entourage, nous avons lancé, le 21 mai 1985, l’organisation connue sous le nom de Réseau Enfants-Retour. J’y ai œuvré durant neuf ans, les premières années à titre bénévole et sans bureau. Je payais la ligne téléphonique par laquelle les parents nous contactaient pour obtenir de l’aide et j’utilisais ma propre voiture pour me rendre à leur rencontre ou pour conserver les dossiers dans le coffre arrière. Lorsque j’ai quitté l’organisation, en avril 1994, celle-ci était installée sur la rue Saint-Jacques, dans les bureaux du journal The Gazette. J’avais contribué au retour de 122 enfants portés disparus. Aujourd’hui, le nombre d’enfants retrouvés avec la collaboration du Réseau Enfants-Retour dépasse le millier.

Une rencontre déterminante pour ta carrière
Je pense que c’est la rencontre de mon destin. Je crois sincèrement qu’en écoutant la voix qui me poussait à passer aux actes vis-à-vis les disparitions d’enfants et la prévention contre les agressions, je me suis permis de poursuivre ma croissance personnelle et mon développement professionnel dans un tout autre domaine que celui qui avait été mon premier choix.

Je me suis fait confiance. J’ai vu la possibilité d’utiliser mes connaissances, mes forces et mes aptitudes et de mettre à profit ma détermination et mon énergie au service d’une cause qui touchait tout le monde, mais dans laquelle personne ne s’était investi de cette manière au Québec.

Un obstacle que tu as surmonté
J’ai dû tout apprendre du côté de la philanthropie et des relations avec les médias. Heureusement, j’ai fait de belles rencontres; des professionnels qui m’ont guidée, encouragée, soutenue. J’ai pu prendre part à des conférences internationales, j’ai été mise en contact avec de l’information riche et variée, j’ai rencontré des gens et travaillé avec des équipes qui m’ont fait confiance et qui m’ont poussée à aller plus loin.

Quel est le point faible (on en a tous un) que tu as corrigé au fil du temps?
J’ai appris à travailler en équipe. Ma détermination et mon assurance m’étaient très utiles aux tables de négociation. J’y avais un rôle de leader, mais je ne crois pas que je savais véritablement écouter mes collaboratrices et collaborateurs et faire en sorte qu’ils aient l’impression de pleinement participer. J’ai appris à miser sur les forces et la créativité des personnes qui m’entourent, à déceler leurs qualités, à créer, tous ensemble, une dynamique stimulante et formidablement inspirante.

Ce dont tu es le plus fière dans ton parcours
Je dirais que je suis très fière d’avoir osé relever des défis qui me semblaient démesurés de prime abord. J’ai découvert que j’avais de l’audace et que celle-ci m’amenait à développer des idées apparemment irréalistes (certaines complètement irréalisables aux yeux des autres) comme fonder Enfants-Retour, chercher et trouver des enfants disparus, organiser une expédition au Kilimandjaro, tenir un repas-bénéfice pour mille personnes, réaliser trois jours de rencontres entre de simples travailleurs et des ministres et députés fédéraux; des projets majeurs, des réalisations qui, au départ, semblaient impossibles à atteindre.

Le fait d’amener d’autres personnes à réaliser des choses impressionnantes et de partager avec elles les succès me procure beaucoup de fierté. Je suis très fière que mes filles soient fières de moi.

Ce qu’il te reste à faire
Il me reste tellement à faire. Apprendre encore et encore; aller au bout de mes rêves, poursuivre ma quête de sens et jouer un rôle positif dans la vie de personnes qui m’entourent et auprès de celles qui ont besoin de moi.

Et puis, j’ai trop d’idées pour une seule vie. J’ai dans mes cartons une collection de livres pour enfants à écrire et à publier, une série télé qui se déroulerait dans une maison de retraités, une organisation inspirée de «Fais un vœu», mais pour adultes, qui s’appellerait Merlin, entre autres.

L’erreur que tu ne referas pas
Quelle bonne question! Il y a plusieurs années, j’ai suivi un mauvais conseil lorsque j’ai été recrutée par une organisation à titre de directrice générale. J’y suis arrivée avec une proposition de contrat qui n’avait absolument rien à voir avec les conditions offertes. J’ai manqué de discernement et j’ai été très chanceuse que les administrateurs me fassent quand même confiance et m’embauchent. Durant cinq ans, nous avons réalisé de très beaux projets ensemble et, lorsque je les ai quittés, ils ont été merveilleux.

Comment fais-tu pour être toujours calme?
C’est drôle, cette question. Je n’y pense jamais. Je crois que c’est une déformation professionnelle autant qu’une force naturelle. Mes enfants en ont beaucoup bénéficié. Lorsque je négociais des conventions collectives, je devais faire preuve d’assurance et ne jamais perdre le contrôle, ni devant l’employeur ni devant les travailleurs. Puis, avec Enfants-Retour j’ai appris à contrôler mes émotions, car je devais me mettre en mode «écoute et aide» si je voulais vraiment faire les bonnes démarches. Finalement, je crois que ma priorité est toujours de chercher des solutions, quel que soit le cas, alors, pas de panique. Je crois que mon calme me rend plus forte et envoie un message positif.

À quoi consacres-tu la plus grande partie de ton temps au travail?
Mon temps est principalement partagé entre les projets du Chaînon et les campagnes et événements de La Fondation. Je m’assure d’abord que les dossiers prioritaires (financement, administration, consolidation et développement) qui relèvent de moi sont bien menés et que tout est en place pour atteindre les résultats attendus. La communication est véritablement au cœur de mon travail et de mes journées, autant à l’interne qu’à l’externe. Je réunis mon équipe lorsque nécessaire et je m’assure que les projets, les programmes et les opérations répondent toujours de manière optimale aux besoins des femmes que nous hébergeons. J’aime être à l’écoute des gestionnaires, leur consacrer du temps, les guider et les aider à atteindre leurs objectifs, à se dépasser. Ma porte est généralement ouverte.

Je crée du temps pour mes propres dossiers de financement et de développement de projets en dehors des heures habituelles. Le 9 à 5, du lundi au vendredi, n’a jamais été pour moi.

Ton état d’esprit le lundi matin au saut du lit
Je sais qu’une grosse semaine m’attend, je suis positive et je me sens pleine d’énergie.

Tu passes ta vie professionnelle à solliciter du financement, à demander des services, à organiser des collectes de fonds, et c’est un éternel recommencement. En as-tu parfois assez?
Non. Il y a une dizaine d’années j’ai dit à une chasseuse de têtes que j’en avais «marre, marre, marre de la philanthropie». Quelques mois plus tard, j’ai commencé à l’enseigner au cégep de Saint-Laurent – initiation à la philanthropie, campagnes et partenariats corporatifs, relations avec les donateurs et avec les bénévoles, etc. Je me sens très privilégiée de me consacrer à créer des ponts entre une cause et des personnes ou des institutions que je sais en position ou en mesure de faire une différence. J’ai beaucoup de latitude dans mon travail et une formidable confiance de la part de mes conseils d’administration, de mes équipes et des partenaires.

Je suis très à l’aise de demander, car ce n’est pas pour moi, c’est pour quelque chose de bien plus grand que moi. J’ai une certaine facilité à partager ma passion et les réponses positives que j’obtiens sont toujours des signaux à l’effet que je contribue à faire avancer les choses, dans le respect des personnes. Et puis toute cette sollicitation contient une énorme part de créativité. D’un projet à l’autre, j’apprends et j’essaie de mettre tout cela au profit du prochain projet. Je suis au cœur d’une activité dynamique, très constructive pour la communauté et la société, très stimulante et valorisante pour moi.

Ton secret pour obtenir – presque toujours! – ce que tu veux
Là tu me fais sourire. Je crois que les gens ressentent ma sincérité et ma passion. Je décrirais mon attitude comme suit: je porte la cause devant moi au lieu de me mettre en avant de la cause. Les gens peuvent voir la différence qu’ils feraient en embarquant. Je crois (je veux) qu’ils se voient partie prenante de cette cause. J’essaie toujours de personnaliser une demande, sans jamais abuser de la bonté et de la sensibilité des gens. Je me fais un devoir de remercier et de montrer à ceux qui m’accompagnent et qui me disent oui combien leur rôle est important pour la réalisation de l’ensemble de l’œuvre. Je l’ai dit, je suis très privilégiée de faire des rencontres déterminantes.

Comment fais-tu pour tirer le meilleur des gens qui t’entourent?
Je crois que les gens voient que je donne toujours le meilleur de moi-même, dans tout ce que je fais. Lorsque je me mets au service d’une cause, j’y vais entièrement. J’essaie toujours de faire voir aux autres la magnifique différence que nous pouvons faire si nous travaillons ensemble et si chacun apporte sa contribution et son talent. Cela ne peut être que positif et mobilisateur et mener à des réussites dont tous les participants sont fiers.

Qu’est-ce qui te motive au quotidien, face à l’adversité que vivent les femmes fréquentant Le Chaînon?
Leur courage, leur résilience, leur fragilité, l’aide que nous pouvons leur apporter. Lorsque je croise une femme dans l’ascenseur à qui je dis bonjour et qui concentre son regard sur le plancher, en silence, la tête penchée, je sais qu’elle est nouvellement arrivée dans la maison. Je les vois se transformer au fil des semaines et des mois; elles viennent me remercier de les avoir sauvées… Je reçois leur gratitude avec beaucoup d’humilité, car elles ne voient pas les dizaines de milliers de personnes qui permettent au Chaînon d’exister. Je puise ma motivation dans la différence, la transformation que je vois et que j’observe au quotidien chez ces femmes. Même si certaines reviennent après quelque temps dans le même état qu’à leur première arrivée, je crois, avec et comme elles, que cette fois sera la bonne. Je me sens très privilégiée de veiller sur Le Chaînon, m’assurer qu’il soit là pour la prochaine qui viendra frapper à la porte.

Ce qui me motive beaucoup, c’est également tout le soutien que Le Chaînon reçoit de la communauté, des bénévoles, des donateurs, des partenaires, des gens qui acceptent de participer à la mission, à la réalisation des projets et des rêves, pour elles.

Qu’est-ce qui te pousse à te surpasser?
Ma confiance en la vie, en les autres et en moi-même. Mon travail me permet de mettre à profit ma créativité, de mettre de l’avant mes idées et de rêver d’une société plus juste et égalitaire. Je sais depuis longtemps que ma mission de vie consiste à changer le négatif en positif. On peut toujours faire plus et mieux. Les réussites comme les échecs me poussent et m’encouragent à aller plus loin.

Un conseil pour celles qui aimeraient redonner à la société, mais qui ne savent pas par où commencer
Je dirais de regarder d’abord à l’intérieur de soi et de repérer les valeurs qui nous tiennent le plus à cœur; ce qui est important pour nous – justice, droit des animaux, bien-être des aînés, éducation accessible pour tous, aide aux personnes vulnérables, etc. Nos valeurs déterminent nos intérêts et nous guident vers des aspects de la société auxquels nous pouvons consacrer du temps et mettre à profit nos forces, nos compétences et notre créativité. En réfléchissant comme cela, il suffit de trouver les organisations et les groupes qui œuvrent à améliorer la société dans le sens que nous souhaitons. C’est là que se trouvent ceux et celles qui partagent nos valeurs et nos intérêts. C’est très facile de redonner à la société et c’est accessible à tous et à toutes, sans aucune exception. Chacune et chacun peut être l’ange de quelqu’un, l’ange gardien d’une cause, le donateur de temps, d’argent, de contacts, d’idées. L’investissement personnel peut être modeste ou important, il est certain qu’il fera une différence.

Que fais-tu pour décompresser?
Je lis beaucoup, je cuisine, je vais au cinéma, je passe du temps de qualité avec mon amoureux et de précieux amis. J’ai le privilège de voyager régulièrement, ce qui me permet de découvrir le monde, de revoir mes filles que j’adore et qui vivent à l’étranger. En janvier, nous comptons nous rendre en Floride, où nos deux filles viendront nous rejoindre. Double bonheur!

Le levier de ta vie personnelle qui t’aide dans ta vie professionnelle
Mon conjoint avec qui je partage ma vie depuis une quarantaine d’années. Il m’appuie et me suit dans mes projets et mes rêves personnels et professionnels et nous en créons ensemble. Il possède une intelligence vive et stimulante et un sens de l’humour à toute épreuve. Sa présence dans ma vie me rend heureuse. Il a une pensée sociale et s’implique activement dans les causes qui lui tiennent à cœur et dans les miennes. Il est un père exceptionnel. C’est un homme bon et généreux, d’une grande sensibilité.

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1 Commentaire

  1. Lise Armstrong dit...

    Entrevue qui donne accès à une personne de qualité qui sait parler d’elle-même, de la cause qu’elle porte avec justesse, simplicité et enthousiasme. Très inspirant. Approche large et qui donne toute la place à la personne interviewée. On prend le temps de s’installer devant quelqu’un et d’aller au fond des choses. Assez rare de nos jours où l’on favorise un éclairage rapide des situations et des gens !

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