Parcours en images: Maude Chauvin

Sa réaction quand on lui a lancé ce défi? «Ben voyons donc, quelle bonne idée, c’est sûr que je le fais!» Ça, c’est Maude. Son énergie tellement positive, son rire contagieux, sa façon instinctive de mettre ses sujets, même les plus timides, complètement à l’aise – et, bien sûr, son talent fou pour capter des images authentiques et chargées d’émotion – font d’elle une des photographes les plus courues et les plus aimées du Québec. Le plus frappant quand on voyage dans les archives de Maude? Même si elle a fait un bon bout de chemin depuis ses premières photos, son talent était là, tout entier, dès les débuts.

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Les comédiens

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Monia, c’est une amie depuis le cégep, en Arts et lettres, à Québec. On a toutes les deux décidé d’aller étudier à Montréal, elle au Conservatoire et moi, en photographie. Je voulais faire des portraits, elle avait besoin de photos de casting. C’est avec elle et d’autres amis comédiens que j’ai réalisé mes premiers mandats. On commençait par faire les photos de casting assez classiques et ensuite, on prenait un moment pour faire des prises de vues plus créatives, pour s’amuser, jouer avec les ambiances, essayer autre chose.

Ce qui m’intéresse en photo, c’est l’humain, l’humain en lien avec l’art, l’humain en lien avec son environnement. C’est pour ça que j’aime tant faire du portrait et que la photo de mode ne m’a jamais vraiment intéressée. Je me fous de ce que Sophie porte, c’est elle que je photographie, c’est ce moment-là que j’ai voulu capter. Le vêtement, il fait sa job et contribue à l’atmosphère, c’est tout.

Pour les Rendez-vous du cinéma québécois, on a demandé à des photographes de recréer l’atmosphère de certains films avec leurs acteurs. Un beau défi artistique, surtout parce qu’on m’avait refilé Les amours imaginaires. Xavier Dolan, quel trip de le photographier, il était tellement jeune, il devait avoir 19 ou 20 ans, mais tu sentais déjà qu’il allait devenir un grand. Il avait cette énergie nerveuse, il était survolté, il fumait sans arrêt, on avait l’impression que mille idées et douze films passaient en même temps dans sa tête. Il m’a impressionnée. Monia m’a dit qu’elle n’avait jamais vu quelqu’un travailler aussi fort, qu’il n’arrêtait jamais, qu’il pensait sans cesse à ses films.

Monia, je l’aime tellement, c’est une de mes muses, c’est une grande créatrice, une femme vraie qui lance bientôt son premier long métrage. Je crois qu’elle aussi va devenir une réalisatrice remarquable.

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Les chefs

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C’est aussi le magazine Cellier, anciennement publié par la SAQ, qui m’a amenée dans le monde de la restauration en me mandatant pour photographier des chefs. Je suis tombée en amour avec leur univers. Pourquoi? Parce que ce sont des bons vivants, des créatifs, et que la majorité d’entre eux sont dans ce métier pour les bonnes raisons. Photographier des personnes comme Daniel Vézina et Normand Laprise, ça m’a permis de découvrir ce qui se passait dans leur environnement, leurs cuisines, leurs assiettes. Et ça m’a fait découvrir les produits extraordinaires avec lesquels ils travaillent – et à rencontrer les artisans.

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Les producteurs, les artisans

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Quand ma carrière a démarré, j’ai fait beaucoup de portraits de comédiennes ou de personnalités connues pour des magazines et ça virait de plus en plus mode, ça s’éloignait de ce que j’aime faire. Et puis le magazine Cellier m’a envoyée à l’extérieur de Montréal photographier des producteurs sur leurs terres. Une expérience complètement différente. Ces gens sont tellement vrais, tellement groundés, tellement pas compliqués, qu’on peut spontanément faire avec eux de très bonnes photos. C’est parce qu’ils n’ont pas d’ego, qu’ils ne sont pas dans la séduction. Ils sont dans leur élément.

Cet homme qui élève des sangliers, c’est le premier d’une longue série. J’ai tellement vécu un trip en faisant son portrait que je ne me suis pas arrêtée, j’ai photographié les lieux, les atmosphères. J’ai eu un déclic et je me suis dit: «Je veux en photographier toute ma vie des gens comme ça.» Quand j’ai envoyé mes photos à la directrice artistique, Renée Grégoire, elle m’a dit: «Maude, il se passe quelque chose.» Elle avait raison.

Les producteurs et les agriculteurs ne sont pas stressés que quelqu’un vienne les photographier. Ce qui les stresse, c’est la pluie et le manque de soleil. Ils sont accueillants et contents que quelqu’un leur rende visite. On attendait ce bel homme barbu sur sa ferme en parlant avec ses enfants. Il avait probablement oublié qu’on venait ce jour-là. Je l’ai vu arriver de loin et je suis allée à sa rencontre. En chemin, il s’est arrêté devant son champ et a commencé à couper cette gerbe. C’était tellement beau que je lui ai demandé si je pouvais le photographier. Il m’a répondu: «Ben oui, vas-y, c’est pour toi que je cueille ça» avant de me donner son bouquet. Un beau moment, que j’ai saisi sur cette photo. Notre job de photographe, c’est ça: capturer dans une image un moment où il s’est passé quelque chose. Mon but, c’est de te faire ressentir exactement ce que j’ai vécu.

Je note souvent des idées, des phrases dans un cahier et un jour j’ai écrit ça: Des êtres humains qui font partie intégrante du paysage, posés dans la satisfaction d’être à la bonne place au bon moment. Lui, il est là. Rien de triché, rien de faux, c’est juste beau, c’est ça, la vie.

Ces photos d’éleveurs et de maraîchers et les autres qui ont suivi m’ont fait décrocher d’importants contrats publicitaires qui m’ont amenée à voyager partout au Canada. J’ai passé trois ans à photographier les meilleurs producteurs de fruits et légumes au pays pour Loblaws. J’ai fait une grande tournée avec Dairy Farmers pour faire découvrir les meilleurs artisans fromagers au pays. J’en ai rencontré beaucoup des gens comme ça, des vrais passionnés, qui sont dans leur élément et qui travaillent fort.

Jean-Martin Fortier est une star de la nouvelle agriculture, un domaine qui est en pleine révolution à l’échelle planétaire. Il est l’auteur d’un livre, Le jardinier maraîcher, il donne des conférences un peu partout, c’est un visionnaire. Il a été approché par André Desmarais pour travailler sur un nouveau concept de ferme holistique à échelle humaine dont le modèle économique serait viable. À la Ferme des Quatre-Temps, on recrée la dynamique des fermes d’antan, où on était à la fois maraîcher et éleveur, avec le savoir d’aujourd’hui, mais sans machinerie lourde. Les légumes bio sont magnifiques, les cochons vivent en liberté dans le bois, c’est un endroit incroyable… Cette photo a été publiée dans le magazine Memento, un collectif de photographes et d’artisans de la photo édité par mon amie et agente Kim Giroux, de Madore Atelier.

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La cuisine

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J’aime bien manger et j’ai toujours suivi la scène de la restauration à Montréal, mais je n’avais jamais pensé faire un jour de la photo culinaire. À l’école, ces cours étaient extrêmement techniques et vraiment emmerdants. On traitait les plats comme des produits, on travaillait dans la noirceur d’un studio sans fenêtres avec douze flashs, tout était artificiel, même le stylisme des aliments. Quand j’ai commencé à photographier des restaurateurs, progressivement, j’ai photographié leurs cuisines, leurs ingrédients, leurs créations, tout ça en lumière naturelle, avec spontanéité, sans artifices. J’ai découvert que j’adorais photographier des aliments de cette manière.

Les chefs m’ont menée aux fermiers et aux éleveurs, qui m’ont à leur tour menée à la cuisine avec leurs beaux produits. C’est une belle transition de la terre à la table, du produit brut au plat cuisiné. C’est comme ça que j’ai commencé ma collaboration avec le magazine Ricardo.

La photo de bouffe a été une révélation pour moi. D’abord parce que je suis gourmande, ensuite parce que j’aime le travail d’équipe, qui est essentiel dans ce domaine. Le photographe travaille en parfaite synergie avec le styliste culinaire et le styliste accessoiriste. Ce langage à trois, quand ça se passe bien, c’est vraiment le fun. On sent qu’on construit une image à plusieurs, qu’on s’en va dans la même direction. C’est un truc moins solitaire que le portrait, on n’a pas autant de pression sur les épaules. J’aime qu’il y ait des humains derrière les photos, des beaux produits, qui font qu’on crée quelque chose de beau.

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Paris et l’après-Paris

On retourne en arrière. Paris, c’est la ville qui a changé ma vie. C’est là que j’ai commencé à naître comme artiste, comme photographe. J’y ai vécu une année parce que mon mari y a fait sa cotutelle de doctorat en philosophie. Une opportunité à saisir. Comme je savais que n’arriverais pas, en une année seulement, à faire carrière dans cette ville, j’ai essayé de travailler à distance pour des magazines du Québec qui voulaient du contenu européen. J’ai écrit à Céline Tremblay, qui était la rédactrice en chef du magazine Plaisirs de vivre, pour lui montrer mon portfolio. Céline était déjà à Paris, alors on s’est donné rendez-vous. Elle a regardé mon travail et m’a dit: «Bof, ce n’est pas vraiment intéressant. Je regarde ça et je me demande qui est Maude Chauvin. On dirait que tu essaies de montrer que tu sais tout faire, pas ce que tu veux faire. Si tu as du nouveau matériel, fais-moi signe.» Céline n’a pas de filtre, et c’était la première fois que quelqu’un faisait des commentaires en direct sur mon travail. La petite maudite – on est super amies maintenant! – avait raison. Grâce à elle, je me suis donné le défi de me définir comme photographe, de trouver ma signature. Le moment était parfait, j’étais libre, je n’avais pas de clients, je me suis lancée. Après deux ou trois mois j’ai envoyé du nouveau matériel à Céline et sa réaction a été différente: «Tu commences à trouver c’est qui, Maude.» Et puis un jour, elle m’a dit qu’elle arrivait et qu’on allait faire un numéro entier sur Paris exclusivement avec mes photos. Capotant. On a passé deux mois ensemble à créer. Quand je suis revenue à Montréal, je suis arrivée au moment même où le magazine sortait. Mon téléphone a tout de suite sonné. «Allo Maude Chauvin, il faut se rencontrer.» C’était Kim Giroux, qui est devenue mon agente et mon amie.

Mon travail me mène souvent à rencontrer des gens uniques. Bien avant que le mouvement de récupération ne devienne un courant esthétique, bien avant que les objets industriels aient la cote, cet homme devançait la tendance à Paris. Dans son incroyable atelier de brocante, un lieu magnifique, il retapait toutes sortes d’objets, des vieux meubles, du bric-à-brac, des lampes anciennes, qu’il transformait et revendait très cher à de belles boutiques.

Je marchais dans le Marais avec Céline Tremblay, elle voulait que je photographie un immeuble très étroit, très particulier. On s’est arrêtées devant et quand elle a dit: «Je me demande qui peut bien habiter là», une toute petite dame a commencé à nous raconter son histoire en révélant qu’elle habitait en face, tout en haut, qu’elle sortait tous les jours et qu’elle gravissait 100 marches au quotidien. On lui a demandé de visiter son appartement, elle a dit oui, mais pas de photos. Elle nous a raconté sa vie – c’est une comtesse! – en nous faisant visiter les lieux. Après une demi-heure, je n’en pouvais plus, je l’ai convaincue de me laisser faire des photos. Elle a commencé par dire oui, mais pas de photos d’elle, se jugeant trop vieille. J’ai des pouvoirs de persuasion… Grâce à ce reportage, elle a renoué avec des membres de sa famille établis à Montréal, qui l’ont reconnue dans le magazine. Elle a écrit une belle lettre à Céline pour la remercier. C’est incroyable comme le hasard peut bien faire les choses dans ce métier.

J’ai décroché mon premier grand contrat de publicité en revenant de Paris. C’est parce que je faisais beaucoup de portraits et que j’ai une grande facilité avec le «vrai monde» qu’on m’a choisie pour cette campagne Le Lait. L’idée était de capter des moments authentiques et on ne voulait pas travailler avec des mannequins. On a donc fait un casting sauvage. Ce bel homme, que je ne connaissais pas du tout, s’est présenté et il a été choisi. Le jour du shooting, je vois qu’il est un peu nerveux, mais il me dit: «Je sais que ça va bien aller, ma fille ma dit que vous étiez bien bonne.» Sa fille, c’est Catherine Gravel, mon amie, ma collègue, qui ne m’avait rien dit. Et Charles Gravel est aujourd’hui le correcteur de ce site… Au moment de prendre la photo, je lui ai dit: «Imaginez que vous êtes un p’tit gars de quatre ans qui passe dans une flaque d’eau.» On a eu la shot tout de suite!

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Ailleurs

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Avant de m’installer à Paris, je faisais plus des photos de touriste que des photos de voyage… Parce que tu peux aller partout en Europe à partir de Paris pour 50$, on en a profité. On est allés en Corse au mois de janvier et cette photo a été prise en arrivant. Le temps était pluvieux, il y avait de la brume partout, j’ai saisi quelque chose à ce moment précis. Cette image dépeint une Corse totalement différente de celle qu’on voit sur les cartes postales avec le ciel bleu, les plages. J’ai compris ce jour-là que j’aimais photographier des lieux autrement, capter les gens qui habitent les villes, raconter leur vie, montrer ce qu’ils font, ce qu’ils mangent. C’est comme ça que j’ai commencé à faire de la photo de voyage lifestyle pour différents clients. C’est encore et toujours une passion pour moi.

Je trouve que les photos de paysage sont toujours plus intéressantes quand il y a un humain dedans parce que tu peux t’imaginer que c’est toi qui es là. L’humain sur cette photo, c’est Catherine Gravel, une personne très importante dans mon parcours parce que c’est elle qui m’a découverte. Je terminais mes études en photographie au cégep, elle a vu mon travail sur le site Web des finissants, et elle m’a appelée pour me dire: «Il y a de quoi dans tes images. J’aime ça, travailler avec la relève.» Et on est allées prendre une bière chez Roger. Je ne sais pas ce qu’elle a vu sur le site, mais elle m’a donné du travail à son magazine de l’époque, je l’ai suivie quand elle est partie faire Châtelaine, on est devenues amies et maintenant, on partage le même studio. Si on travaille tellement bien ensemble, c’est parce qu’on voit les mêmes choses, qu’on parle le même langage. Avec d’autres directeurs artistiques, c’est parfois une commande et c’est OK, mais avec elle, c’est différent.

Toutes les deux, on a décidé de se payer une fois de temps en temps le luxe de faire des projets de fou dans la liberté totale. L’année dernière, on est parties en reportage au Portugal et toutes les photos sont magiques. On recommence cette année, on ne sait pas encore où. Et on a bien l’intention de continuer. La vie de photographe, ça peut te mener partout.

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Pour suivre Maude
maudechauvin.com
Instagram: maude_chauvin

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