Changer de vie pour devenir artisans-maraîchers

Il y a trois ans, Annie Béchard et Olivier Gravel se sont lancés dans la culture bio-intensive en fondant Les Jardins de la rivière Maskinongé. Leur potager bio prospère, leur nouvelle vie aussi. Annie nous raconte leur beau parcours.
Propos recueillis par MJ Desmarais  Photos Maude Chauvin



De la ville aux champs
Olivier travaille en administration, moi, je viens du milieu du développement local. Pendant des années, j’ai conseillé et accompagné des entreprises d’économie sociale en démarrage. Tout allait bien dans ma vie professionnelle, mais j’ai eu à un moment le sentiment d’avoir fait le tour. Dans le but de me renouveler, j’ai décidé de laisser mon poste à temps plein pour travailler comme contractuelle. Ça n’a pas fonctionné. J’avais beau tout essayer, cette impression d’avoir fait le tour revenait sans cesse. C’est là que j’ai fait le constat: je devais vraiment changer ma vie.

Faire un constat et vouloir changer de vie, c’est une chose. Trouver vers quoi on va se tourner, c’est autre chose. La route peut être plus longue qu’on ne le pensait. L’idée de l’agriculture bio s’est peu à peu imposée. Je suis née en Abitibi, j’ai grandi au Lac-Saint-Jean, mes parents cultivaient un grand potager. Je suis partie étudier à Montréal en biologie végétale – mon parcours est plutôt atypique –, j’ai suivi leurs traces et toujours cultivé un petit jardin en ville. J’avais cet intérêt au départ, mais ce qui nous a inspirés, c’est quand nous sommes tombés sur l’histoire de La Grelinette de Jean-Martin Fortier et Maude-Hélène Desroches, qui ont mis en place une méthode d’agriculture bio-intensive, écologique et non mécanisée. On a aussi été interpellés par la petite ferme du Bec Hellouin, gérée par des professionnels comme nous qui ont tout laissé tomber pour faire un retour à la terre. On s’est mis à lire tout ce qui nous tombait sous la main à ce sujet, à regarder des vidéos, à se renseigner. On a laissé aller nos rêves, et on a réalisé que quand on se permet de rêver, ça fait entrevoir des possibilités.

 

Pourquoi avoir fait de l’agriculture bio un métier plutôt qu’un passe-temps?
Parce que ça réunit beaucoup de choses dont on avait parlé au fil des ans, Olivier et moi. On voulait aller vivre à la campagne, on avait envie de plein air, on voulait travailler ensemble et on voulait être nos propres patrons, avoir notre entreprise. La ferme, c’est la somme de plein de petits rêves.

Ce qui nous a attirés avant tout, c’est le travail d’artisan plutôt que celui de maraîcher. Travailler avec nos mains, pas avec de gros tracteurs, cultiver de petites surfaces, pas des champs à perte de vue, approcher la culture de façon artisanale plutôt que standardisée, miser sur la qualité des produits plutôt que sur la quantité. Ça résume ce qu’on avait envie de faire – offrir quelque chose de beau, de bien et de bien fait. Il y a aussi le côté écologique, qui était pour nous une évidence. Pas question de réaliser ce projet autrement! Avant d’ouvrir notre ferme, on a vécu à Montréal pendant huit ans, sans voiture. On misait sur le transport actif, on se déplaçait souvent en vélo, on compostait; il était logique pour nous de poursuivre sur cette voie.

 

Lentement mais sûrement
On a fait notre plan de match. D’abord, il fallait se familiariser avec le métier d’artisan-maraîcher. Je me suis donc lancée dans des lectures, j’ai assisté à des ateliers, suivi des formations. Et je suis allée donner un coup de main à une amie qui s’est lancée dans le même genre de projet il y a quelques années. J’ai beaucoup appris dans ce processus. Il fallait aussi avoir quelque chose à cultiver! Des amis qui vivent à Saint-Didace nous ont aidés à trouver notre ferme et notre maison. On a eu les clés le 9 septembre 2016 et on s’est installés ici rapidement, mais on a pris notre temps côté culture. On a profité de notre premier automne pour travailler la terre dans le but de démarrer tout doucement au printemps suivant. L’idée était de se faire la main et de se prouver qu’on était capables de produire.

Le premier été, on a eu une belle petite récolte, suffisante pour la dizaine de clients abonnés à nos paniers hebdomadaires: des amis et des membres de la famille, surtout, parce que des proches, ça peut pardonner tes erreurs et qu’on n’avait pas envie de se planter! L’expérience a été concluante. Après ça, on s’est dit: «Let’s go!» et on s’est fixé des objectifs plus ambitieux pour notre deuxième année.

On a maintenant une trentaine de clients, on cultive une quarantaine de variétés et on a même ouvert un kiosque à la ferme le samedi, qui nous permet de rencontrer des gens du coin, des personnes qui ont un chalet et qui y passent leurs fins de semaine, qui en parlent à leurs amis et ainsi de suite. On grandit de façon organique. Notre approche, c’est de se donner de petits objectifs qui peuvent être atteints sans problème. On avance étape par étape! L’été prochain, par exemple, on veut tout simplement livrer plus de paniers et augmenter les heures d’ouverture du kiosque. Ce n’est pas évident, à deux, mais on y arrivera.

 

Une ferme à échelle humaine
Nous pratiquons l’agriculture bio-intensive, c’est-à-dire que nous cultivons un tout petit lopin de terre qui produit énormément. Parfois, des gens qui nous visitent demandent où sont nos champs! Ils sont très étonnés par la petite superficie de notre terre, et encore plus étonnés de constater jusqu’à quel point elle est généreuse. Cette méthode de culture à échelle humaine nécessite peu d’investissements. On n’a pas de tracteurs, de granges ou d’équipement coûteux. Le modèle d’affaires est complètement différent de celui des grandes fermes: on travaille pour vivre correctement, pas pour survivre.

Chez nous, on a recours à des méthodes ancestrales qui ont disparu avec l’industrialisation. Par exemple, on pratique la rotation des cultures, comme le faisait ma grand-mère. Elle savait que si on fait pousser les légumes toujours à la même place, ça favorise la prolifération d’insectes et ça appauvrit le sol. La rotation, c’est une méthode toute simple qui permet de prévenir toutes sortes de maladies.

 

Faire équipe
Pour vivre sans stress et surtout pour avoir les moyens de vivre sans stress, on a décidé, en faisant notre plan de match, que je m’occuperais de la ferme à temps plein et qu’Olivier garderait son emploi jusqu’à ce que notre entreprise soit bien lancée et que notre clientèle soit bien établie. Il travaille donc à Montréal la semaine – on y a gardé une maison – et il vient me rejoindre les fins de semaine et les jours de congé. Oui, c’est beaucoup, mais Olivier dit toujours qu’il a un équilibre de vie: il travaille avec sa tête la semaine, mais, quand il chausse ses souliers de maraîcher, il devient un homme à tout faire et il vit dans le présent. J’ai évidemment beaucoup de responsabilités sur les épaules, mais la ferme ne pourrait pas exister sans Olivier. De par sa formation, il a un grand sens des affaires et de la planification. C’est un entrepreneur. En plus, c’est un homme de solutions et un vrai bricoleur – il a bâti un chalet de ses mains à l’âge de 20 ans!

Olivier et moi, on se complète. Notre changement de vie, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne nous a pas changés. Il a plutôt confirmé qui nous sommes vraiment. Ça ne me surprend pas, puisqu’on partage les mêmes valeurs. Au début de notre relation, on a été coopérants volontaires au Mali, on a travaillé pour la même ONG pendant plus de trois ans. Mon amoureux est le meilleur partenaire que je puisse avoir.

Le cycle des saisons
On travaille sept jours sur sept pendant les récoltes. Heureusement, ma famille nous donne un coup de main et une de mes sœurs a même pris une semaine de vacances pour nous épauler. C’est très chouette. Mon travail est très physique: je n’ai certainement pas besoin de m’entraîner, ça se fait tout seul! Plus la saison avance, plus ça devient difficile, plus les petits maux apparaissent. Les gestes sont répétitifs, on n’a pas toujours la meilleure posture, mais quel bonheur d’être dehors tous les jours, de voir les beautés du jardin, d’entendre les oiseaux! Et suivre le cycle de la petite pousse qui sort de terre, qui grandit et qu’on récolte, c’est un grand privilège. Pendant que le corps travaille, la tête aussi s’y met: pour réussir en agriculture, il faut avoir des tonnes de connaissances. Bien connaître un légume, c’est une chose; tout savoir sur une quarantaine de variétés, c’est un vrai défi!

À compter de novembre, on pourra se reposer. En janvier, on se remettra tranquillement au travail pour acheter des semences, planifier notre année. Tout démarrera à nouveau en mars avec les semis. Et ça recommencera comme ça chaque année. Notre travail est exigeant, mais il est aussi gratifiant: ça nous grounde, de faire pousser notre nourriture et de nous alimenter en suivant le fil des saisons. Cette abondance, c’est un réel plaisir dans notre vie de végétariens à temps partiel qui essaient de limiter au minimum leur consommation de viande. On adore cuisiner – c’est un élément important dans notre choix de devenir maraîchers – et il est certain qu’on met beaucoup de légumes sur la table. On les mange nature ou on les transforme. La mise en conserves, ça fait partie de notre quotidien pendant la belle saison!

 

Le bilan
Les photos que vous avez réalisées à notre ferme m’ont touchée, m’ont émue. Elles m’ont permis de prendre un peu de recul – c’est vrai, que notre projet s’est concrétisé. J’ai eu ce que je voulais et je ne veux pas revenir en arrière. Mon ancienne vie ne me manque pas: je travaillais pour d’autres, maintenant je travaille pour nous. Je suis contente d’avoir pris la décision à 46 ans, de ne pas avoir attendu dix ans de plus. Si ça peut inciter des gens à aller là où leur cœur veut les mener…

J’ai hâte d’atteindre certains de nos objectifs pour qu’Olivier puisse être avec moi en tout temps. Il ne manque que ce bout-là! En attendant, on est bien et on se voit pratiquer ce métier encore longtemps. La vie à la ferme, c’est un projet en évolution constante qui nous sort souvent de notre zone de confort. Ça me plaît.

Je n’ai pas encore fait le tour du jardin. Je pense que ça prend une vie.

Les Jardins de la rivière Maskinongé
300, route 348,
Saint-Didace J0K 2G0
Facebook @jardinsrivieremaskinonge
514 974-1171

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