Mes vins du Nord
Manger local c’est bien, boire local, c’est génial. Et on n’a jamais eu autant de choix. La passion contagieuse de la sommelière Gigi Bissonnette.
Texte et photo Gigi Bissonnette
C’est pendant un road trip dans le Maine il y a une douzaine d’années que j’ai pour la première fois «rencontré» un vignoble de la côte est américaine. Le vin de ce producteur était en vente dans les Liquor Stores de la région. À ma grande surprise, je l’ai trouvé bon. Il faut dire qu’à l’époque, je ne jurais que par les produits français et italiens et que j’avais de sérieux préjugés sur les vins qui poussent «presque à côté de chez nous».
Et pourtant. Pendant ce voyage, j’étais obsédée par l’idée de manger tout ce qui était local. C’était au moment où, au Québec comme aux États-Unis, l’engouement pour les produits du terroir prenait son essor. Dans les restaurants, dans les épiceries, on en voulait, on en commandait. Mais personne ne pensait aux producteurs qui élaboraient des vins locaux depuis plus de vingt ans déjà.
Comprendre avant de juger
Quelques années plus tard, pendant mes études en sommellerie, j’ai tout fait pour intéresser amis et collègues aux vins locaux, mais on avait toujours le même genre de conversation:
– Pourquoi payer 35$ pour une bouteille de vin canadien alors qu’on peut avoir un bon vin français pour 16$?
– Ben, pour les mêmes raisons qu’on achète un chemisier dessiné par un designer québécois à 200$ au lieu d’acheter un chandail à 25$ chez H&M, et pour la même raison qu’on achète des fromages de Charlevoix plutôt que des briques de Monterey Jack à l’épicerie. On veut encourager nos artisans, notre industrie, nos produits.
– OK, mais sont pas bons.
L’éducation du palais, ça existe vraiment. Plus on boit, plus on goûte à des choses variées, plus notre palais se raffine. Le goût, ça s’exerce comme un muscle. En étudiant le vin, on apprend à l’analyser de façon objective, on apprend à comprendre ce qu’est un vin équilibré. Et on apprend aussi à reconnaître les défauts du vin, à faire la part entre les bons et les moins bons. Le problème, c’est qu’on ne sait pas grand-chose sur les sols québécois, sur les cépages hybrides nordiques, sur le goût très particulier des vins du Nord. On a du chemin à faire pour savoir apprécier un vin local pour ce qu’il est.
Le terroir nordique
Le terroir, c’est un ensemble de facteurs comme la situation géographique, les sols, le climat, et la variété de raisins qu’on décide de planter. Un producteur de vin averti, canadien ou nord-américain, fera une étude rigoureuse des sols où il veut planter ses vignes, du climat typique de chacune des saisons, et du type de raisin qui produira du bon vin dans ces conditions. Le chardonnay, le pinot noir, le cabernet franc, le riesling, le pinot gris sont des cépages que l’on retrouvera souvent au Canada et aux États-Unis, particulièrement sur la côte est. On retrouve aussi plusieurs cépages hybrides comme le vidal, le seyval, le maréchal Foch et le sainte-croix, pour ne nommer que ceux-là.
À noter: les cépages, hybrides ou non, auront un goût différent d’un terroir à l’autre. Par exemple, si un chardonnay de la Californie a tendance à donner dans la rondeur, un chardonnay de Prince Edward County produira des vins blancs qui tendront vers l’acidité et la minéralité. Cela est dû, entre autres, aux sols acides et riches en calcaire de la région.
Le facteur du réchauffement climatique
Le réchauffement climatique affecte réellement les vignes du monde entier, pour le meilleur ou pour le pire. Le climat robuste du nord qui s’adoucit permet aux producteurs établis d’augmenter leur production et encourage la création de nouveaux vignobles; de nouveaux vins commencent tranquillement à se faire remarquer, apprécier, à se boire, et on en trouve de plus en plus dans les restaurants et chez les détaillants. Il faut aussi dire que les vignerons ont au fil des ans développé des méthodes efficaces pour «travailler avec l’hiver». Ce sont des agriculteurs-artisans-producteurs-œnologues qui travaillent sans répit pour produire le meilleur vin possible dans des conditions souvent extrêmes. Nous devons admirer et encourager ces passionnés qui, lors d’un printemps particulièrement clément, peuvent perdre la quasi-totalité de leur production le temps d’une nuit de gel au sol. Quand le bourgeon initial est détruit, c’est la grappe qui y passe… Faire du bon vin, c’est un gros défi. Faire du bon vin canadien ou même new-yorkais, c’est un quadruple défi.
Un défi pour le week-end
Vous avez envie de découvrir un nouveau restaurant? De tester une nouvelle recette ? Voici mon challenge: goûtez donc à un vin du Nord en fin de semaine. Dites-moi ce que vous en pensez. Et quand vous le dégusterez, rappelez-vous que ce sont de vraies personnes qui l’ont produit, qui ont travaillé de 4h du matin jusqu’à passé minuit pendant les vendanges, qui ont jonglé avec les aléas d’une nature plus forte que tout. Des personnes qui mettent tout en œuvre pour produire un beau vin, un vin de terroir qui exprimera le millésime tel qu’il a été cette année-là, dans la plus grande humilité du monde.
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Les choix de Gigi
vignoble négondos
Mirabel (Québec)
Un domaine en biodynamie qui produit du vin depuis déjà presque 20 ans!
J’aime Le Julep (vin orange) et le Red Bulles (mousseux).
Dégustation Des vins glouglou à boire tout de suite, seuls ou bien accompagnés.
Prix et disponibilité, dans l’ordre, 32$, 32,99$ chez Au petit coin épicerie, 45, rue Beaubien Est, à Montréal.
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Closson Chase Vineyard
Hilier (Prince Edward County, en Ontario)
Un jeune domaine dans le très beau comté de Prince Edward, où la culture du vin connaît un essor considérable depuis une quinzaine d’années grâce à un climat tempéré et à des sols majoritairement calcaires.
J’aime Le Chardonnay The Brock 2015 (superbe).
Dégustation Avec un plat à la crème ou des fromages, s’il vous plaît. À boire tout de suite ou à coucher pour deux à trois ans.
Prix et disponibilité: 23,95$ à la SAQ.
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Ravines Wine Cellars
Finger Lakes (État de New York)
J’ai visité ce vignoble à l’été 2015. Ce très joli domaine a planté ses vignes en 2000 sur le côté est du lac Seneca (un des Finger Lakes). L’escarpement des sols calcaires du Niagara descend à travers le lac Ontario et s’étend jusque dans cette région. Les vins expriment ici beaucoup de minéralité, ainsi que l’acidité typique de ce terroir. Le riesling trouve vraiment sa terre de prédilection dans les Finger Lakes, à mon avis.*
J’aime Ravines Riesling Finger Lakes 2014.
À déguster En solo, à l’apéro ou en écrivant un article 😉 et à boire maintenant.
Prix et disponibilité: 28,50$ à la SAQ.
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Ces vins sont tous disponibles dans les vignobles si vous passez par là – ça vaut vraiment le détour vitivinicole!
* Les domaines Bellwether et Lamoreaux Landing produisent aussi des rieslings vraiment sublimes, ils sont disponibles en importation privée, mais pas encore en SAQ.
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